Des soldats des forces de défense d’Israël ont arrêté Hamada (Mohammed) Tamimi au petit matin du dimanche 23 août, chez lui dans le village de Nabi Saleh en Cisjordanie. Il a été libéré dans la soirée du mercredi 26 août : personne ne l’a interrogé, personne ne lui a dit pourquoi il avait été arrêté, personne ne s’est excusé pour la fausse arrestation.
« Tout d’un coup le gardien est venu dans la cellule et m’a dit de m’habiller parce qu’on me libérait », rappelle Tamimi, âgé de 21 ans. « Je venais de laver la seule chemise que j’avais, et elle était encore humide quand je l’ai mise. Je ne pouvais pas le croire ». Il souriait alors qu’il nous racontait ceci ; ses yeux souriaient aussi. Mais ce furent quatre jours de torture émotionnelle et physique pour lui et pour sa famille – le genre de routine dont tant de Palestiniens font l’expérience, qui n’est pas racontée ni rapportée.
« S’ils font un film sur chaque famille de notre village, on va fermer Bollywood », déclare Manal, sa mère, en décrivant la routine.
Un ami de la famille m’a appelée au soir du lundi 24 août, en m’expliquant que près de deux jours s’étaient écoulés depuis l’arrestation de Tamimi, sans que sa famille sache où il était. Peut-être qu’une question adressée aux autorités concernées accélèrerait les choses ? Le mardi matin les services de sécurité du Shin Bet ont déclaré à Haaretz : il n’est pas avec nous, il est détenu par la police.
Manal et son mari, Bilal, ont acquis une grande expérience des arrestations : des leurs et de celles de leurs enfants et de leurs parents. Après tout, c’est une partie du prix à payer pour la lutte populaire (qui a été gelée pour l’instant) contre la prise de contrôle des terres et de la source naturelle des villages de Nabi Saleh et Deir Nizam par les colons de la colonie voisine de Halamish.
Mais les Tamimi ne se souviennent pas d’un tel retard pour être informé du lieu de détention. Ils étaient particulièrement inquiets parce que, le 31 janvier, Hamada avait été blessé par un tir des FDI. La balle est restée incrustée près de son bras gauche, près de l’aorte. Il est dangereux de l’extraire, ont dit les médecins.
« S’ils le frappent, la balle est susceptible de bouger », a dit Manal. « Et récemment il a aussi éprouvé de la douleur ». Un morceau d’une autre balle, tirée par un soldat des FDI, s’est incrustée en janvier 2015 dans la cuisse gauche de son fils et y est restée.
Haaretz a suivi de près l’inquiétude des Tamimi pour leur fils. En janvier 2018, une unité du Shin Bet et de la police a fait une descente dans les cellules des prisonniers à la prison d’Ofer, où il purgeait une peine de vingt mois d’emprisonnement pour avoir jeté des pierres sur les soldats. Les parents vivent dans cette dichotomie depuis des années : déterminés à ne pas se taire – en fait, c’est ainsi qu’ils éduquent leurs enfants – et pourtant ils ont peur pour leurs enfants.
Dimanche dernier, les soldats sont venus à pied : certains sont venus de l’Est, les autres sont montés en venant de l’Ouest par l’oued. Hamada, qui était réveillé et qui se trouvait sur le toit de sa maison, les a vus quand ils étaient à une distance de 25 mètres. Il a réveillé son frère aîné, Osama, et ils sont allés réveiller leurs parents. Osama est monté sur le toit et il a vu les soldats au-dessous qui entouraient la maison, certains d’eux entrant dans la cour de devant.
Il estime qu’il y avait environ 50 soldats, munis de fusils. Il est descendu, il a vu des soldats derrière la porte, préoccupés par quelque chose, et a présumé qu’ils se préparaient à l’enfoncer. Un soldat l’a vu, a glissé une arme par une ouverture dans la porte (dont la vitre avait été brisée longtemps avant par ses camarades) et lui a donné l’ordre de l’ouvrir – ce que Osama avait de toute façon prévu de faire, de sorte que la porte ne soit pas davantage endommagée. Quand il l’a ouverte, le soldat a de nouveau pointé son fusil sur lui, près de la tête.
Pendant ce temps, Hamada avait réveillé ses parents, qui ont réveillé Samer et Rand, les enfants les plus jeunes. Il était 3 heures du matin. A la porte suivante habite la mère de Bilal, Halima, 74 ans, sa fille Nawal et sa petite fille, Jana. Elles ont été réveillées quand l’un des soldats a secoué le rideau de la fenêtre de leur chambre. Entretemps, plusieurs soldats étaient entrés dans l’appartement de Bilal et Manal et en faisaient le tour. Un seul portait un masque sur la figure.
Un des soldats a demandé à Bilal sa carte d’identité, et quand celui-ci a demandé pourquoi ils n’ont pas répondu. Il s’est adressé à eux en anglais. Ils n’ont pas répondu. A un moment, quand on leur a donné la carte d’identité de Hamada, les soldats lui ont ordonné de s’habiller et de les rejoindre, et d’emmener ses médicaments.
« En d’autres mots, ils savaient qu’il est malade », en a conclu Manal, en ajoutant : « Samer n’arrêtait pas de pleurer, par crainte pour son frère ».
Immédiatement quand les soldats sont entrés dans la maison, la famille s’est mise à filmer ce qui se passait. Un clip a même été diffusé en direct sur Facebook. Cette petite rébellion civile a pris les soldats au dépourvu et les a agacés. Manal leur criait dessus, en refusant d’accepter la facilité avec laquelle son fils était emmené hors de chez lui. Un soldat est devenu encore plus furieux et a vaporisé du gaz poivré sur Bilal et Manal.
« La famille de l’homme arrêté s’est comportée avec violence envers l’unité de l’armée et a fait obstacle à sa mission », a déclaré en réponse le porte-parole des FDI, en ajoutant que cela avait « forcé » un soldat à répliquer par du gaz poivré.
Le ventilateur a soufflé le gaz en plein sur Halima qui est actuellement sous dialyse et qui venait de subir une opération cardiaque. Un médecin lui a dit que son état de santé s’était détérioré en raison de la quantité importante de gaz lacrymogènes lancée par les soldats dans le village au cours des années. Alors que Halima avait du mal à respirer, Manal criait encore plus fort. Elle nous dit qu’elle a demandé en arabe à l’officier des FDI, « Vous voulez la tuer » ? Elle pense que c’était un Druze.
Selon elle, il a dit, « Qu’elle meure » (le porte-parole des FDI ignorait ce détail). Pendant toute la journée la famille a senti l’odeur piquante de l’aérosol au poivre. Les soldats ont confisqué cinq téléphones portables et une caméra vidéo, et n’ont remis aucun reçu pour ces objets (le porte-parole des FDI n’a pas expliqué pourquoi il n’en avait remis aucun).
Après cela, alors qu’ils n’étaient plus filmés, les soldats, selon Manal, « sont devenus fous », les battant et les bousculant, et leur prenant les bras. Le porte-parole des FDI a déclaré qu’il n’y avait « aucune indication que l’unité se soit comportée de façon inappropriée pendant l’incident ». Dans la cage d’escalier à l’extérieur de l’appartement les soldats ont menotté les mains de Hamada dans le dos et lui ont couvert les yeux. « N’aies pas peur, mon fils » a dit Manal – qui avait peur.
Hamada ne comprenait pas pour quelle raison il avait été arrêté, il ne craignait qu’une énième saga de détention, de salles d’audience et de temps perdu, alors qu’il avait déjà trouvé un nouvel emploi dans une boulangerie. Il a été mené vers le véhicule des soldats et on l’a fait asseoir sur le plancher, entre les soldats qui étaient assis sur les sièges. Il sentait chaque pierre et chaque bosse sur la route. Un des soldats a posé une jambe sur son épaule gauche. Cela faisait mal (le porte-parole des FDI n’a pas expliqué pourquoi Tamimi avait été mis sur le plancher du véhicule). Le premier arrêt a été à un avant-poste à l’entrée du village voisin de Aboud, où une femme médecin israélienne a vu Tamimi après que les menottes et le bandeau ont été enlevés. Elle lui a posé des questions sur son état de santé et a rempli un questionnaire. Ni elle, ni les soldats, ne portaient de masques. Tamimi estime maintenant qu’il a été retenu là pendant environ quatre heures, parmi les soldats, et à nouveau menotté, cette fois devant. Le bandeau glissait un peu vers le bas du nez, si bien que, quand on l’a mis dans la voiture et commencé à conduire, il a réussi à voir le panneau « Petah Tikva ».
Il a été emmené vers un hôpital (le porte-parole des FDI n’a pas voulu dire lequel), on lui a administré un test de dépistage du coronavirus et il a été transporté vers une autre installation militaire, à l’entrée du point de contrôle de Rantis. Là il a été placé sur une chaise, menotté et les yeux bandés, en proie à ses pensées, pendant environ 10 heures. Il n’a pas réussi à s’endormir, bien qu’étant épuisé. On lui a donné de l’eau, dit-il, mais aucune nourriture - les FDI disent qu’il l’a refusé.
Personne n’a frappé Tamimi. Il a remarqué qu’un soldat a pris un selfie avec lui. Il ne sait toujours pas pourquoi il a été arrêté. Le soir est tombé, et on le conduit à la Prison du Shin Bet à Ayalon, dans une prison qui ne comporte qu’un matelas. Ses parents ne savaient pas où il était, ni comment il allait. Il a été maintenu dans la même cellule pendant trois jours, en quarantaine préventive contre le coronavirus, il a été autorisé à sortir deux heures par jour dans la cour pour faire une pause. Le lundi 24 août, son estomac gargouillait : il n’avait pas reçu de nourriture de façon régulière, seulement des bouteilles d’eau. Par chance, deux détenus originaires de Bethléem qui sont passés devant sa cellule quand ils étaient dehors dans la cour ont réussi à recueillir un peu de nourriture à son intention auprès d’autres détenus et auprès d’un détenu de droit commun, chargé de distribuer la nourriture. Tamimi ne savait pas que ses parents étaient toujours fous d’inquiétude.
Le mardi, on lui enfin donné trois repas réguliers. Ce matin-là, le Centre Hamoked de Défense de la Personne a reçu la réponse quant à l’endroit où il se trouvait, et l’a transmise à ses parents (dans l’après-midi le porte-parle des FDI a informé Haaretz qu’il était à la prison de Ayalon). Le même jour il a été rapporté que Tamimi était en train d’être amené, en vue d’une prolongation de sa détention, devant le tribunal militaire de la Prison d’Ofer. Bilal s’est précipité sur place et on lui a dit que c’était une erreur : l’audience n’était pas ce jour-là. Mais on l’a autorisé à voir son fils pendant 20 secondes au moyen d’une conversation en vidéo, et à échanger quelques mots. Quel bonheur.
Le mercredi, les parents de Hamada ont appris qu’il ne serait pas amené devant un juge pour une prolongation de sa détention, avant l’expiration du délai de 96 heures à partir de son arrestation. Manal est arrivée tôt le matin à Ofer. Elle a attendu. Et attendu. Et attendu. C’était le moment pour le juge de faire une pause pour déjeuner. Après coup, l’avocat de l’Association Addameer pour les Droits de l’Homme a dit que Hamada n’était même pas sur la liste des détenus qui ont continué à être maintenus en détention, et la police n’était au courant de rien. Vers 17h, l’avocat a reçu de la police de Modi’in Ilit une attestation de libération.
Dans la soirée, Tamimi a été transporté menotté, les yeux découverts, au point de contrôle des Maccabim, et y a été libéré. Il a appelé à la maison en utilisant le téléphone portable de deux habitants du village de Beit Sira qui se trouvaient là. Dans la demi-heure qui a suivi Bilal est venu le chercher. Quatre des téléphones de la famille (mais pas celui de Hamada) et la caméra ont été rendus à Bilal le 1er septembre. Le porte-parole des FDI a déclaré à Haaretz que Hamada « avait été arrêté sur ordre des forces de sécurité et en se fondant sur des considérations opérationnelles ».
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers